Kapitel IV - Sylvan Exil: Unterschied zwischen den Versionen

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Die meisten Konvois starten in Matia, der Hauptstadt des gleichnamigen Königreichs, und so war es gut möglich, dass der erhoffte den breiten künstlichen Pfad nehmen würde, der den Wald im Westen durchschneidet. Pü war von den Kräften der Botaniker des Matis-Volkes beeindruckt und erschrocken zugleich. Er, der Matias kolossale Wurzelmauer und die riesigen Habitatbaumkomplexe, die sich jenseits der Stadtmauer so weit das Auge reichte, mit eigenen Augen gesehen hatte, war von einer solchen Maßlosigkeit überwältigt gewesen. Doch mit diesem Vorgehen und dem Versuch, die Natur nach seinem Willen zu beugen, versuchte das Volk der Matis, die Absicht der Kamis und damit auch die Absicht von Ma-Duk zu durchkreuzen. Der Große Erzeuger wacht über jedes Stückchen Materie auf Atys. Die Natur zu verändern bedeutet, sein Großes Werk zu verfälschen. Die Geheimnisse der Manipulation von lebender Materie, insbesondere von Pflanzen, waren den Matis von der Karavan übermittelt worden, wie den Zoraïs die Beherrschung des Magnetismus und des Schreibens.
 
Die meisten Konvois starten in Matia, der Hauptstadt des gleichnamigen Königreichs, und so war es gut möglich, dass der erhoffte den breiten künstlichen Pfad nehmen würde, der den Wald im Westen durchschneidet. Pü war von den Kräften der Botaniker des Matis-Volkes beeindruckt und erschrocken zugleich. Er, der Matias kolossale Wurzelmauer und die riesigen Habitatbaumkomplexe, die sich jenseits der Stadtmauer so weit das Auge reichte, mit eigenen Augen gesehen hatte, war von einer solchen Maßlosigkeit überwältigt gewesen. Doch mit diesem Vorgehen und dem Versuch, die Natur nach seinem Willen zu beugen, versuchte das Volk der Matis, die Absicht der Kamis und damit auch die Absicht von Ma-Duk zu durchkreuzen. Der Große Erzeuger wacht über jedes Stückchen Materie auf Atys. Die Natur zu verändern bedeutet, sein Großes Werk zu verfälschen. Die Geheimnisse der Manipulation von lebender Materie, insbesondere von Pflanzen, waren den Matis von der Karavan übermittelt worden, wie den Zoraïs die Beherrschung des Magnetismus und des Schreibens.
  
Au cours de ses longs mois d’exil dans le Royaume de Matia, Pü avait compris en quoi les mœurs païennes des peuples endoctrinés par la Karavan pouvaient être attrayantes. À ces pensées, il avait eu honte. Mais cela lui avait aussi permis de mieux comprendre toute la dangerosité de ces démons venus des cieux. Le jeune Zoraï ne perdit pas de temps. Glissant et sautant par-dessus les racines et les ramifications de la sylve, il avala les derniers kilomètres qui le séparaient du sentier en un rien de temps. Les quelques gingos qui tentèrent de le poursuivre durant sa traversée n’eurent d’autre choix que d’abandonner, tant il manœuvrait adroitement dans l’enchevêtrement dense de cette nature libre de toute oppression matisse. Arrivé en bordure du chemin, il se dissimula derrière un large arbuste, guettant l’arrivée du convoi. Alors qu’il s’apprêtait à abandonner et à chercher ailleurs la trace des Matis, il entendit au loin des bruits ordonnés de sabots.
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Während seiner langen Monate im Exil im Königreich Matia war Pü klar geworden, wie attraktiv die heidnischen Sitten der von der Karavan indoktrinierten Völker sein konnten. À ces pensées, il avait eu honte. Mais cela lui avait aussi permis de mieux comprendre toute la dangerosité de ces démons venus des cieux. Le jeune Zoraï ne perdit pas de temps. Glissant et sautant par-dessus les racines et les ramifications de la sylve, il avala les derniers kilomètres qui le séparaient du sentier en un rien de temps. Les quelques gingos qui tentèrent de le poursuivre durant sa traversée n’eurent d’autre choix que d’abandonner, tant il manœuvrait adroitement dans l’enchevêtrement dense de cette nature libre de toute oppression matisse. Arrivé en bordure du chemin, il se dissimula derrière un large arbuste, guettant l’arrivée du convoi. Alors qu’il s’apprêtait à abandonner et à chercher ailleurs la trace des Matis, il entendit au loin des bruits ordonnés de sabots.
  
 
Pü déglutit. Son rythme cardiaque commençait doucement à s’accélérer. Jamais. Jamais il ne s’habituerait à cette impression. Son frère lui avait pourtant assuré que sa première fois serait jouissive, et que les sensations ressenties le marqueraient à vie. D’un côté, il n’avait pas eu tout à fait tort. Les mains menues couvertes de sang d'un Zoraï exilé dès ses onze ans, agenouillé seul devant le cadavre encore chaud de sa première victime : ces images le hantaient depuis de longues semaines, jour et nuit, à en perdre la raison. Mais cette dernière épreuve annonçait aussi la fin de son pénible exil. Bientôt, il serait de retour dans son pays, dans sa souche, et pourrait à nouveau serrer sa mère dans ses bras. Cette pensée joyeuse le réconforta et lui permit de retrouver ses moyens. Le convoi se dessinait maintenant à l’horizon. Il fut rapidement à portée d’observation. En son centre, une solide charrette lourdement chargée était tirée par deux [[mektoub]]s, des pachydermes placides aux pieds agiles et dépassant les deux mètres de hauteur, au pelage brun rayé de gris, mais surtout reconnaissables à leur longue trompe puissante et à leur tête sans oreilles. Elle était conduite par un Tryker, comme nombre de celles que Pü avait croisées jusqu'alors. En effet, il n’était pas rare de rencontrer des Trykers loin à l’est de leurs cités flottantes, s’affairant à des travaux ingrats et mal rémunérés en pays matis. Car, si leur curiosité et leur goût de la liberté faisaient d'eux d'excellents explorateurs et inventeurs, la petite taille, l'apparence enfantine et, surtout, le caractère pacifique et bon vivant des Trykers, leur avaient hélas valu d'être mis en esclavage par les Matis à plusieurs reprises au cours des siècles passés. Et, comme les cours donnés par sa mère en avaient instruit Pü, c'est durant l'épilogue de la « Guerre de l'Aqueduc », quarante ans auparavant seulement, que les Trykers avaient pour la dernière fois subi un tel esclavage.
 
Pü déglutit. Son rythme cardiaque commençait doucement à s’accélérer. Jamais. Jamais il ne s’habituerait à cette impression. Son frère lui avait pourtant assuré que sa première fois serait jouissive, et que les sensations ressenties le marqueraient à vie. D’un côté, il n’avait pas eu tout à fait tort. Les mains menues couvertes de sang d'un Zoraï exilé dès ses onze ans, agenouillé seul devant le cadavre encore chaud de sa première victime : ces images le hantaient depuis de longues semaines, jour et nuit, à en perdre la raison. Mais cette dernière épreuve annonçait aussi la fin de son pénible exil. Bientôt, il serait de retour dans son pays, dans sa souche, et pourrait à nouveau serrer sa mère dans ses bras. Cette pensée joyeuse le réconforta et lui permit de retrouver ses moyens. Le convoi se dessinait maintenant à l’horizon. Il fut rapidement à portée d’observation. En son centre, une solide charrette lourdement chargée était tirée par deux [[mektoub]]s, des pachydermes placides aux pieds agiles et dépassant les deux mètres de hauteur, au pelage brun rayé de gris, mais surtout reconnaissables à leur longue trompe puissante et à leur tête sans oreilles. Elle était conduite par un Tryker, comme nombre de celles que Pü avait croisées jusqu'alors. En effet, il n’était pas rare de rencontrer des Trykers loin à l’est de leurs cités flottantes, s’affairant à des travaux ingrats et mal rémunérés en pays matis. Car, si leur curiosité et leur goût de la liberté faisaient d'eux d'excellents explorateurs et inventeurs, la petite taille, l'apparence enfantine et, surtout, le caractère pacifique et bon vivant des Trykers, leur avaient hélas valu d'être mis en esclavage par les Matis à plusieurs reprises au cours des siècles passés. Et, comme les cours donnés par sa mère en avaient instruit Pü, c'est durant l'épilogue de la « Guerre de l'Aqueduc », quarante ans auparavant seulement, que les Trykers avaient pour la dernière fois subi un tel esclavage.

Version vom 10. September 2022, 15:33 Uhr

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Übersetzung zur Überprüfung
Gib nicht den Mitwirkenden die Schuld, sondern komm und hilf ihnen. 😎


IV - Sylvan Exil

Jahr 2474 von Jena


… Pü déroulait en silence…

Auf einem hohen Ast eines großen sylvanischen Baumes sitzend, verrichtete Pü schweigend sein tägliches Gebet. Über ihm, sogar noch näher, so weit entfernt vom Dschungel und seinem Zenit, war das Tagesgestirn dabei, seinen vollen Glanz zu entfalten, und trotz der dicken Laubschicht, die es vom Himmel trennte, schaffte es das warme Licht, die blaue Haut des jungen Zoraï zu erwärmen. Er hatte jedoch gelernt, Jenas astrale Prägung zu vergessen, und versuchte, sich an die Kälte und das Echo der Abgrundschächte zu erinnern, die sein Dorf unter der Rinde durchzogen und die es Ma-Duk ermöglichten, aus dem Herzen von Atys über ihn und seine Familie zu wachen. Er hatte ohnehin keine Wahl: Die Höhen waren bei weitem der geeignetste Ort für meditative Momente. Am Boden waren Raubtiere und Soldatenpatrouillen eine ständige Störung, die seine Ruhe bedrohten und ihn daran hinderten, sich friedlichen Aktivitäten zu widmen.

Tausend Kilometer entfernt beendeten seine Stammesmitglieder wahrscheinlich auch gerade ihre Gebete. Trotz der Entfernung und der Einsamkeit hatte Pü versucht, seinen Lebensrhythmus beizubehalten, den er vor seiner Abreise gelebt hatte. Mit dem ersten Morgengrauen erwachte das Dorf und bereitete sich auf die Routinearbeiten vor, die für das reibungslose Funktionieren der Gemeinschaft notwendig waren: Instandhaltung, Handwerk, Jagd, Kochen, verschiedene Versammlungen, Empfang der seltenen Gesandten und Händler etc. Das Ziel war es, so viele Aufgaben wie möglich zu erledigen, bevor die lange Morgenlitanei begann. Diese wurde von Pus Mutter Looï geleitet und endete mit einem gemeinsamen Essen im Speisesaal, an dem der ganze Stamm teilnahm. Nach dem Mittagessen übten sich die Zoraï mehrere Stunden lang in der Kunst des Kampfes. Der Unterricht richtete sich an alle, unabhängig von Alter oder Geschlecht, und war sehr vielfältig: Nahkampf, Stichwaffen, Schusswaffen und Magie. Der Stamm war in erster Linie ein Clan von Kämpfern, die früher oder später am Beginn des Heiligen Krieges teilnehmen würden. Wenn das Training beendet war, trafen sich die Familien zu einem gemütlichen Essen und gingen vor dem Schlafengehen verschiedenen persönlichen Aktivitäten nach. Seit jeher besuchte Pü Abendkurse bei seiner Mutter, die ihn in homininer Geschichte, internationalen Beziehungen, anderen Sprachen und Wissenschaft unterrichtete. Gelegentlich wurde er von seinem älteren Bruder Niï begleitet. In den meisten Fällen besuchte dieser jedoch andere Privatstunden bei ihrem Vater, der Schwarzen Maske.

Der Junge wurde jäh aus seinen Erinnerungen gerissen, als ein trauriges Geräusch die Harmonie des Gesangs der Bäume durchbrach. Über den Baumwipfeln erschütterte das dumpfe Dröhnen eines Karavan-Fluggeräts die Luft und vertrieb die Javings, diese seltsamen Vögel mit den gezackten, grünlichen Flügeln und der langen, schwarzen, glänzenden und mit Widerhaken versehenen Zunge, mit der sie ihre Beute aufspießten. Pü stand schnell auf, überprüfte die Festigkeit seiner Lebenslinie und machte sich daran, die letzten Meter des dicken Baumstamms zu erklimmen, der ihn vom Himmel trennte. Als sein zarter Körper aus dem Blättermeer herausragte, musste er hinter seiner Maske die Augen zusammenkneifen, weil das Tageslicht so grell war. Nicht weit von ihm entfernt verlor die Höllenmaschine immer mehr an Höhe. Die seltsame schwarze Materie, aus der ihre Hülle bestand, reflektierte Jenas helles Astrallicht, als wollte sie ihn verhöhnen. Trotzdem gelang es Pü, die Maschine zu identifizieren. Es war einer der kleinen Transporter, die die Karavan normalerweise benutzte, um die von ihren Hominsklaven gesammelten Ressourcen zu sammeln. Seltsamerweise schien er direkt aus einer der riesigen Himmelswurzeln zu stammen, die das Kronendach bildeten, den unerforschten Teil der Rinde, wie die Bewohner Atys bezeichneten, ihre Welt aus lebendem Holz, das nur aus ständig wachsendem Pflanzenmaterial besteht. Ihre opulenten Täler und üppigen Hügel bestanden aus kolossalen Wurzeln, auf denen die Homins ihre Zivilisationen errichtet hatten. Das Wasser, das die tiefen Wurzelspalten füllte, erweckte ihre Seen, Lagunen und Ozeane zum Leben. Die steilsten Wurzeln bildeten seine Berge und reckten sich in einem langsamen, unaufhaltsamen Aufstieg in den Himmel. Bestimmte Temperaturanomalien führten sogar dazu, dass der Wurzelteppich langsam verglühte und die Wüsten entstanden. Und noch tiefer unter der Rinde befanden sich die Urwurzeln, das geheimnisvollste Ökosystem von Atys nach dem, das man in das Kronendach vermutet. Es bildete ein riesiges Labyrinth aus grünen, feuchten Höhlen, die tief in die Eingeweide der Pflanzenwelt bis in ihr Herz hineinreichten.

Pü beobachtete, wie die Karavan-Maschine mit hoher Geschwindigkeit abtauchte. Es war sehr wahrscheinlich, dass wie üblich ein Treffpunkt zwischen der Karavan und ihren Handlangern vereinbart worden war und dass ein Konvoi auf dem Weg war, um Tribut zu liefern. Der junge Zoraï spürte, wie sein Herz raste. Vier. Jetzt fehlten ihm nur noch vier. Vier, und er könnte endlich nach Hause zu seinen Lieben zurückkehren. Das war die perfekte Gelegenheit. Er musste den Konvoi abfangen, bevor er sich mit den Karavan-Agenten treffen konnte. Pü entkam dem nackten Tag, indem er sich ein paar Meter in die Tiefe stürzen ließ, und landete auf dem Ast, auf dem er seine Sachen zurückgelassen hatte. Er sammelte sie zusammen und packte sie hastig ein, bis auf einen würfelförmigen Weidenkorb, den er sorgfältig handhabte. In diesem Korb befanden sich die Früchte monatelanger Bemühungen. Er würde sich niemals verzeihen, wenn er ihn verlieren oder seine Unversehrtheit gefährden würde. Um sicherzugehen, dass er nichts vergessen hatte, überprüfte er noch einmal seinen Klettergurt und tauchte ab. Pü raste durch den grünen Abgrund, bewegte sich geschickt zwischen den Zweigen und löste mit einem fachmännischen Handgriff seine Lebenslinie von den Stiften, die er während des Aufstiegs getrieben hatte. Er durchquerte viele Sekunden lang die bunten Schichten dieses kontinentalen Waldes mit seinen tausend Jahreszeiten und landete schließlich anmutig auf dem belaubten Boden. Die Richtung, in die das Fluggerät flog, deutete darauf hin, dass es wahrscheinlich auf der Lichtung weiter nördlich landen würde.

Die meisten Konvois starten in Matia, der Hauptstadt des gleichnamigen Königreichs, und so war es gut möglich, dass der erhoffte den breiten künstlichen Pfad nehmen würde, der den Wald im Westen durchschneidet. Pü war von den Kräften der Botaniker des Matis-Volkes beeindruckt und erschrocken zugleich. Er, der Matias kolossale Wurzelmauer und die riesigen Habitatbaumkomplexe, die sich jenseits der Stadtmauer so weit das Auge reichte, mit eigenen Augen gesehen hatte, war von einer solchen Maßlosigkeit überwältigt gewesen. Doch mit diesem Vorgehen und dem Versuch, die Natur nach seinem Willen zu beugen, versuchte das Volk der Matis, die Absicht der Kamis und damit auch die Absicht von Ma-Duk zu durchkreuzen. Der Große Erzeuger wacht über jedes Stückchen Materie auf Atys. Die Natur zu verändern bedeutet, sein Großes Werk zu verfälschen. Die Geheimnisse der Manipulation von lebender Materie, insbesondere von Pflanzen, waren den Matis von der Karavan übermittelt worden, wie den Zoraïs die Beherrschung des Magnetismus und des Schreibens.

Während seiner langen Monate im Exil im Königreich Matia war Pü klar geworden, wie attraktiv die heidnischen Sitten der von der Karavan indoktrinierten Völker sein konnten. À ces pensées, il avait eu honte. Mais cela lui avait aussi permis de mieux comprendre toute la dangerosité de ces démons venus des cieux. Le jeune Zoraï ne perdit pas de temps. Glissant et sautant par-dessus les racines et les ramifications de la sylve, il avala les derniers kilomètres qui le séparaient du sentier en un rien de temps. Les quelques gingos qui tentèrent de le poursuivre durant sa traversée n’eurent d’autre choix que d’abandonner, tant il manœuvrait adroitement dans l’enchevêtrement dense de cette nature libre de toute oppression matisse. Arrivé en bordure du chemin, il se dissimula derrière un large arbuste, guettant l’arrivée du convoi. Alors qu’il s’apprêtait à abandonner et à chercher ailleurs la trace des Matis, il entendit au loin des bruits ordonnés de sabots.

Pü déglutit. Son rythme cardiaque commençait doucement à s’accélérer. Jamais. Jamais il ne s’habituerait à cette impression. Son frère lui avait pourtant assuré que sa première fois serait jouissive, et que les sensations ressenties le marqueraient à vie. D’un côté, il n’avait pas eu tout à fait tort. Les mains menues couvertes de sang d'un Zoraï exilé dès ses onze ans, agenouillé seul devant le cadavre encore chaud de sa première victime : ces images le hantaient depuis de longues semaines, jour et nuit, à en perdre la raison. Mais cette dernière épreuve annonçait aussi la fin de son pénible exil. Bientôt, il serait de retour dans son pays, dans sa souche, et pourrait à nouveau serrer sa mère dans ses bras. Cette pensée joyeuse le réconforta et lui permit de retrouver ses moyens. Le convoi se dessinait maintenant à l’horizon. Il fut rapidement à portée d’observation. En son centre, une solide charrette lourdement chargée était tirée par deux mektoubs, des pachydermes placides aux pieds agiles et dépassant les deux mètres de hauteur, au pelage brun rayé de gris, mais surtout reconnaissables à leur longue trompe puissante et à leur tête sans oreilles. Elle était conduite par un Tryker, comme nombre de celles que Pü avait croisées jusqu'alors. En effet, il n’était pas rare de rencontrer des Trykers loin à l’est de leurs cités flottantes, s’affairant à des travaux ingrats et mal rémunérés en pays matis. Car, si leur curiosité et leur goût de la liberté faisaient d'eux d'excellents explorateurs et inventeurs, la petite taille, l'apparence enfantine et, surtout, le caractère pacifique et bon vivant des Trykers, leur avaient hélas valu d'être mis en esclavage par les Matis à plusieurs reprises au cours des siècles passés. Et, comme les cours donnés par sa mère en avaient instruit Pü, c'est durant l'épilogue de la « Guerre de l'Aqueduc », quarante ans auparavant seulement, que les Trykers avaient pour la dernière fois subi un tel esclavage.

En 2435, intrigués par la découverte, à l'occident de leur désert, de ruines enfouies sous l'écorce, des mineurs fyros percèrent une veine d’acide qui embrasa toute la région autour de la cité impériale de Coriolis. L’incendie, qui dura plusieurs semaines, se propagea jusqu’à la frontière du Royaume et coupa le gigantesque aqueduc honni des Matis. Celui-là même qui reliait le Désert à la région des Lacs administrée par la Fédération de Trykoth, l’alliée de l’Empire Fyros. Alors, la guerre dans laquelle l’alliance et le Royaume étaient enlisés depuis bientôt un siècle et demi, prit une nouvelle tournure. Car l’Empereur fut contraint de retirer ses troupes des Lacs, pour les envoyer combattre l’incendie qui menaçait son peuple et le privait d’eau. Sur quoi, profitant de l’occasion, l’armée matisse envahit la région des Lacs, asservit le peuple Tryker et reprit la cité de Karavia que l’Empire lui avait dérobée près d’un siècle auparavant. Karavia ; la « Cité Sainte », réputée bâtie là même où Zachini, sur la côte du Royaume qu'il fonda ensuite, avait rencontré pour la première fois la Karavan et la déesse Jena. Karavia ; la « Cité Profane », pour Pü et sa tribu, le lieu le plus maléfique qui soit sur l'Écorce… C'est dans son enceinte, pourtant, que fut signé l'année suivante le traité qui mit fin à la Guerre de l'Aqueduc et libéra les Trykers du joug des Matis. Mais ce dernier épisode avait laissé des traces certaines dans l’inconscient du peuple des Lacs, et beaucoup de Trykers étaient demeurés en Forêt comme domestiques… à l'image du conducteur de la charrette, manifestement voué au service du Matis assoupi à son côté sur la banquette.

Pü, à la vue de ce dernier, l'identifia aussitôt comme un clerc de l’Église de la Lumière, que l'on nommait Herena. Le Matis était en effet vêtu de son costume ecclésiastique : une couronne d'ambre blanche et une longue toge constituée de plusieurs grandes capes faites de plumes colorées et décorées de tresses de bijoux ambrés. L’Église de la Lumière, fondée autour du culte de Jena et placée sous l'égide de la Karavan, était aujourd'hui toute-puissante dans le Royaume de Matia, et singulièrement dans l'enceinte de Karavia, rétrocédée au Royaume par le traité portant son nom. C'est sous son influence que tant d'homins avaient été convaincus de la nature démoniaque des Kamis…

Plus haut sur la charrette, perché sur son chargement bâché, un Matis armé d’un fusil-mitrailleur se tenait debout et guettait l’horizon. Il n’était pas casqué et portait la tenue ordinaire des soldats de l’armée régulière : une combinaison souple et solide en peau de cactus surmontée de pièces d'armure de bois blanc. Un autre semblait être assis à l’arrière du véhicule. Les Matis étaient un peuple naturellement svelte, aux traits émaciés et à la peau de nacre. Esthètes, raffinés et ambitieux de par leur culture, ils n’avaient de cesse de rappeler leur supériorité aux autres peuples, même inconsciemment. Entourant la charrette, cinq Matis montés servaient d’escorte. Ils étaient fièrement dressés sur des caprynis, des quadrupèdes sveltes à la peau épaisse, claire et par endroit rayée de bleu, coiffés d’un unique bois et au long museau orné d’une singulière barbichette. Tous les soldats étaient équipés d’une armure de solide bois blanc gravée de motifs mauves, bombée au niveau du torse et resserrée à la taille. Les épaulières de l’armure, aussi arrondies que larges, donnaient une allure impérieuse aux soldats. Mais le plus étonnant était leur casque, constitué d’un masque d’ivoire au front serti d’un bijou bleu azur, et d’une coiffe solide et imposante, elle-même ornée d’ambre blanc, et dont les extrémités constituées de chitine retombaient au niveau des oreilles, leur donnant ainsi l’aspect de cornes. L’un des soldats se distinguait des autres par la finesse des décorations et des gravures qui constellaient sa cuirasse et son casque. Jusqu’à aujourd’hui, Pü n’avait jamais eu l’occasion d’observer de tels ornements. Le Matis était sans nul doute un haut gradé de l’Armée Royale, envoyé avec l’Herena pour représenter le Roi devant la Karavan.

… Tous les soldats étaient équipés…

L'enfant disposa soigneusement son panier au centre de l’arbuste et attendit quelques secondes supplémentaires que le convoi progresse. Lorsqu’il fut environ à une cinquantaine de mètres de sa position, il sortit calmement de sa cachette et se planta au centre de la route. Le repérant sans tarder, la vigie située sur le sommet du chargement sonna l’arrêt et le convoi stoppa net. La halte inattendue eut pour effet d’interrompre brusquement le sommeil du Herena, qui manqua tomber de la charrette.

« Qui êtes-vous ? Déclinez votre identité ! » s’exclama la vigie d’un ton puissant mais néanmoins mélodieux.

En réponse, Pü s’avança de quelques mètres, alors que les capryniers alignaient leurs montures et se plaçaient devant la charrette. Le Zoraï se racla la gorge et prit son plus beau matéis. Sa mère lui avait enseigné les langues utilisées par les autres peuples, en mettant l’accent sur le matéis, la plus parlée à l’international.

« Je suis un apôtre des Kamis, envoyé dans les régions païennes pour révéler aux égarés l’existence du Grand Géniteur, et pour offrir à certains élus le Pardon Éternel. Enfants de l’Écorce, soyez heureux d’apprendre que par mon fait, vos péchés ont d'ores et déjà été lavés. D’ici peu, vos âmes seront purifiées puis offertes aux Guerriers Noirs de Ma-Duk. À travers eux, vous contribuerez à leur combat pour la préservation d’Atys. Et si Ma-Duk le veut, vous assisterez à la Guerre Sacrée et à l’avènement des Jours Heureux. »

Malgré toute sa bonne volonté, le jeune homin ne parvint à insuffler nulle passion dans son homélie. Après tant de mois de prêches morbides, ce rituel était devenu aussi lassant que douloureux. Pü le savait, la folie le guettait. Les voix dans sa tête se faisaient de plus en plus présentes, et il développait semaine après semaine de nouveaux troubles comportementaux. Combien de ses frères et sœurs avaient perdu pied durant leur exil ? Nombreux étaient ceux à n’être jamais rentrés. Avant son départ, il les avait longtemps jugés sévèrement, mais maintenant, il comprenait. Sa vision se troubla alors qu’une puissante céphalée se manifestait. Il dut se concentrer longuement pour éteindre les premiers murmures mentaux. Durant ces longues secondes d’absence, le Herena avait rejoint la vigie sur le sommet de la charrette. Se tenant à elle sans ménagement pour ne pas tomber, il hurlait à la cantonade.

« Ma-Duk ? Le Grand Géniteur ? Mais de quoi parlez-vous ! Si nous savions que les sauvages de votre espèce vénéraient les démons Kamis, nous pensions que vous aviez la présence d’esprit de ne pas remettre en cause l’existence de notre Mère à tous, Jena ! Votre infamie n’a donc aucune limite ? Général, saisissez-vous de cet hérétique sur-le-champ ! »

Pü avança à nouveau de quelques pas en se massant le masque.

« Soyez alors rassurés d’apprendre que, cachés au cœur de Zoran et derrière leur Grande Muraille, Min-Cho, son Conseil des Sages, et toute la Théocratie Zoraï, vouent toujours un culte à votre déesse usurpatrice, dit-il d’un air las. Il y a de cela des décennies, les Kamis ont choisi de révéler l’existence de Ma-Duk à ma tribu. Aujourd’hui, nous sommes malheureusement les seuls à reconnaître sa nature de Kami Suprême. Mais d’autres apôtres travaillent au sein de la Jungle. Un jour, nos frères Zoraïs comprendront l’étendue des mensonges qu’on leur sert depuis l’enfance, et si Ma-Duk le veut, ils seront pardonnés pour leurs péchés. »

Le visage du clerc se teinta de rouge alors qu’il manquait de tomber par l’effet de ses gesticulations, qui emmêlaient les multiples capes de sa tenue. Heureusement pour lui, la vigie faisait tout son possible pour éviter que l’Herena ne s’humilie en chutant.

« Cessez vos infamies, sauvage ! Aucun pardon pour votre race de dégénérés adorateurs des Démons ! Vos visages squelettiques sont des abominations, une offense à la Karavan ! Vous méritez d’être exterminés comme tous les primitifs qui souillent Atys de leur présence ! Qu’on m’attrape ce sauvage sans attendre, c’est un ordre ! »

Juché haut sur son capryni, le général matis tenta d’intervenir pour apaiser la tension grandissante. C’était compter sans la fougue de l’un des capryniers, qui obéit à l’exhortation du religieux en s’élançant à toute vitesse. Pü secoua son masque pour balayer ses derniers maux de tête et se concentra pleinement sur la situation. À partir de maintenant, tout allait s’enchaîner très vite. Il devait faire taire ses questionnements intérieurs. Déjà, le Matis avait franchi la moitié de la distance qui le séparait du Zoraï. Il tenait dans sa main droite une longue lance creuse qui s’achevait par un collet d’ambre tressé. Près de la barre horizontale, une manette permettait rapidement de desserrer ou de comprimer l’anneau qui la terminait. Cette arme ingénieuse était généralement destinée à attraper à la gorge les futures montures des Matis, lorsqu’elles étaient encore à l’état sauvage, mais était aussi déclinée pour immobiliser et soumettre les homins sans les blesser.

Le corps de Pü oscillait légèrement. Il lui fallut quelques secondes supplémentaires pour synchroniser le battement de ses membres avec le galop de la monture. Arrivé à une dizaine de mètres de lui, l'assaillant activa le mécanisme de son arme et la brandit, sans ralentir l’allure. Le collier s’ouvrit assez largement pour réussir à enserrer la tête masquée du Zoraï. À n’en pas douter, il savait parfaitement se servir de son instrument. C’était compter sans l’agilité du jeune homin. Alors que le soldat fendait l’air sur sa droite pour saisir sa proie à la gorge, Pü plongea volontairement en direction de l’attaque tout en l’esquivant. Passant entre l’arme et le capryni, il réussit à attraper la sangle située au flanc de l’animal avant même de toucher le sol. Fermement agrippé, il tira autant qu’il put, non pas pour déstabiliser la bête lancée à toute vitesse, mais pour projeter son corps léger d’enfant par-dessus l’animal. Il voltigea et atterrit de justesse sur l’arrière-train du capryni, au moment où le Matis jetait un coup d’œil dans son dos pour chercher ce qu’il était advenu du Zoraï. Alors que le caprynier croisait le regard de Pü, qui se maintenait en équilibre sur l’animal uniquement par force de ses cuisses, sa proie, devenue bourreau, passa rapidement ses mains autour de sa nuque, et la rompit d’un coup sec. L’arme du Matis glissa de sa main droite et se brisa au sol. Si Pü ne pouvait s’assurer de son décès, sa paralysie était garantie. Il laissa le corps en armure s’affaisser sur lui pour ne pas qu’il chute, récupéra les rênes tenues par sa main gauche, ralentit la cadence et fit demi-tour. Revenu à son point de départ, il interrompit sa course et sauta au sol, à gauche de l’animal. Le corps du soldat s’écroula lourdement sur la droite. Le casque se décrocha sous le choc, ce qui permit au Zoraï d’observer son visage inerte. Le soldat était une homine, et de ce fait, peut-être une mère. Durant une fraction de seconde, Pü vit le masque de la sienne se superposer au visage du cadavre. Il ferma les yeux. Trois. Il ne lui en manquait plus que trois.

… Le soldat était une homine…

Au sommet de la charrette, le visage du clerc était passé d’un teint rougeâtre à un blanc bien plus livide qu’à l’accoutumée. Quant aux soldats, aucun ne réagit, choqués qu’ils étaient par la violence de la scène à laquelle ils venaient d’assister. Seul le général avait su garder son sang-froid. Il fit avancer sa monture de quelques pas et se retourna vers le convoi.

« Giero, filez aussi vite que votre capryni le peut en direction de l’avant-poste le plus proche ! Mettez au courant l’intendant de la situation et envoyez-nous des renforts. Ne sous-estimez pas la menace. Be’maty, rendez-vous aussi à l’avant-poste ! Vous n’arriverez pas à suivre Giero à cause du chargement, mais vos mektoubs sont forts, ne les ménagez pas. Dès qu’il aura transmis son message, Giero vous rejoindra sur la route. Vicho, restez dans la charrette ! Vous protégerez le chargement et le Herena au prix de votre vie en attendant le retour de Giero. Zani, Lichnini, Sivaldo, avec moi ! N’intervenez pas tant que je ne vous en donne pas l’ordre. »

Le ton assuré du général aida les soldats à sortir de leur léthargie. Tous s’exécutèrent sans dire mot. La sentinelle sauta de la charrette et arma son fusil-mitrailleur, le Matis assis à l’arrière du véhicule le remplaça au faîte de la charrette, qui commença à manœuvrer pour faire demi-tour. Seul le clerc, qui reprenait à peine ses esprits, manifesta l’intention de protester. Mais le regard inquisiteur que lui jeta alors le général le dissuada, et sa pâleur de craie s’accentua. D’ordinaire, Pü ne laissait pas de survivants, car seule l'absence de témoins l’assurait de pouvoir continuer d’opérer sans encombre dans ces régions. D’ailleurs, il évitait généralement de s’en prendre à l’armée régulière, dont chaque soldat disparu donnait lieu à enquête, et préférait s’attaquer aux tribus de fanatiques ou aux groupes de bandits qui parsemaient le royaume. Mais cette fois-ci, tout était différent. Quand les premiers parleraient, lui serait déjà sur la route du retour. Il observa scrupuleusement ses quatre futurs adversaires, tandis que l’un des capryniers s’élançait à toute vitesse en direction du sud-ouest, suivi par la charrette. Il devait éviter de les affronter tous ensemble. Il patienta quelques secondes, assez de temps pour que le messager disparaisse à l’horizon, et se mit à avancer doucement. Au premier pas, le général cria.

« N’avancez plus ! Pour vous être rendu coupable du crime d’homicide volontaire sur un soldat du Royaume de Matia, vous devez comparaître devant la justice royale. Comme le veut notre loi, vous aurez le droit de vous défendre durant votre jugement. Maintenant, coopérez, ou nous serons dans l’obligation de vous appréhender par la force. »

Pü leva les mains pour feindre la soumission et continua d’avancer. Il savait que les Matis ne seraient pas dupes, mais il devait gagner quelques mètres. Actuellement, la plus grande menace était le mitrailleur. Il devait l’éliminer en premier. Pour autant, il ne devait pas sous-estimer le haut gradé. En temps normal, il aurait eu à faire à un simple chef d’escouade, et non pas à un militaire expérimenté.

« Je ne me répéterai pas, plus un geste ! » cria à nouveau le général.

Le Zoraï ne réussirait probablement pas à faire un pas de plus avant que le général ne sonne l’assaut. Il passa sa main droite dans son dos et la posa sur le petit bouclier rond qui y était accroché. Il n’avait pas droit à l’erreur. S’il se manquait maintenant, la suite serait beaucoup plus incertaine. Il ferma à nouveau les yeux et laissa pleinement ses sens s’ouvrir au monde. La direction et la force du vent, l’humidité de l’air : importants paramètres à prendre en compte pour réaliser le lancer parfait. Rouvrant les paupières, il posa son regard sur le tireur. S’il était trop loin pour en être certain, la position de ses bras indiquait qu’il était prêt à faire feu. Pü inspira un grand coup et se mit en action. Plus rapide que jamais, il décrocha son bouclier et banda ses bras en arrière comme une corde. Il lui fallut moins d’une seconde pour valider sa trajectoire et propulser sa rondache. Le projectile vola vers la gauche du sentier, donnant l’illusion d’un lancer manqué. Pü profita de l’incompréhension générale pour foncer dans l’autre direction. Comme prévu, le mitrailleur reçut l’ordre d’intervenir et enclencha son arme. Les deux pieds fermement plantés dans l’écorce, il se mit à tirer à feu nourri en direction du Zoraï. Mais, vu son recul, l’arme était malaisée à diriger, ce qui laissait à Pü quelques secondes avant que les impacts ne fassent mouche. L’enfant se déhanchait et sautillait habilement, s'efforçant de compliquer la tâche du mitrailleur, dont les tirs se faisaient de plus en plus précis. À ce moment-là, les Matis crurent probablement qu’ils allaient l’emporter. C’était compter sans la courbure impromptue que prit la trajectoire du bouclier. Frôlant les arbres qui marquaient le bord de la route, la rondache dévia en direction du tireur qui était maintenant positionné dos à elle. Personne ne remarqua la manigance, hormis le général qui, plus avisé que le reste de son escouade, aperçut le projectile mortel alors qu’il s’apprêtait à percuter l’arrière du crâne du mitrailleur. Il hurla quelque chose et sauta de son capryni. Se relevant en vitesse, il fonça vers le soldat. En réponse au cri de son supérieur, celui-ci venait de se retourner vers la menace volante. Ne le voyant pas réagir, le général tenta de le plaquer, mais ne réussit qu'à le bousculer. Le bouclier fendit profondément le visage du Matis hébété qui virevolta et s’écroula lourdement sur le sol.

… Les deux pieds fermement plantés…

Pü cessa ses gesticulations et reprit son souffle. Si le mitrailleur n’était certainement pas mort, il semblait être évanoui, et ne représentait donc plus une menace pour le moment. Alors que le général s'attardait au chevet du malheureux, le jeune Zoraï crut à tort qu’il aurait le temps de réfléchir à son prochain mouvement. Mais les deux capryniers ne l’entendaient pas de cette oreille, et s’incitèrent mutuellement à passer à l’attaque.

« Général, restez avec Sivaldo, nous nous occupons du primitif masqué ! cria le premier.

— Oui général ! Jusqu’alors, ses techniques de lâche ont fonctionné uniquement parce que nous n’y étions pas préparés, renchérit le second. Laissez-nous venger la mort de Tinailli ! Nous vous promettons de lui faire honneur ! »

Le général eut beau protester, les deux soldats s’élancèrent à pleine vitesse en direction du Zoraï, qui ne semblait pas s’en inquiéter. Les dernières dizaines de mètres qui les séparaient furent englouties en quelques secondes. Mais se souvenant de la mort de leur première camarade, les Matis ne firent pas l’erreur de charger le jeune guerrier. Ils s’arrêtèrent avant d’arriver à son niveau, sautèrent de leur monture et s’avancèrent pour le prendre en tenaille. Au vu de leur comportement respectif, les deux Matis devaient être des soldats inexpérimentés. Aveuglés par la haine et le désir de vengeance, ils ne savaient pas encore qu’ils venaient de se jeter dans la gueule du gingo. Au loin, le général venait à peine d’atteindre son capryni pour rejoindre en urgence les deux imprudents. Seul contre deux, le jeune guerrier avait toutes ses chances. Il fallait donc qu’il en termine au plus vite avant que le seul militaire réellement expérimenté de l’escouade ne les rejoigne. Le Matis qui s’était positionné dans son dos tenait à deux mains une lourde épée d’ambre joliment ornementée, alors que celui qui lui faisait face était armé d’une longue pique couronnée d’ambre tressé. Pü aurait aimé lire sur son visage, mais l’imposant casque cornu qu’il portait l’en empêchait. Rapidement, les Matis se rapprochèrent. En toute logique, le soldat situé face à lui lancerait le premier assaut, laissant ainsi l’opportunité à celui positionné dans son dos d’utiliser un angle mort pour attaquer. C’est exactement ce qui se passa. Le piquier cria et perfora l’air d’un geste précis, espérant empaler le Zoraï d’un seul coup. Sans même bouger ses pieds, Pü envoya sa main droite au contact de la pique tout en pivotant et décalant son bassin du côté opposé. La protection de son avant-bras érafla bruyamment les multiples pointes aiguisées. Retournant brusquement son poignet, il attrapa le long manche de l’arme. Au lieu de repousser l’offensive, il encouragea le mouvement, et se servit de l’élan du Matis pour le déstabiliser tout en préservant l’impulsion de son assaut. Déviant légèrement la direction de l’attaque, et toujours sans décoller les pieds du sol, il courba son dos en arrière, et esquiva le coup horizontal que l’épéiste tenta de lui asséner. Il n’eut alors qu’à faire en sorte que la pique conserve sa vélocité pour que ses pointes mortelles transpercent la cuisse gauche du malheureux à l’épée, qui s’écroula sous le choc en hurlant. Emporté par le mouvement non contrôlé de son arme, l’assaillant manqua de tomber sur le blessé. Pü saisit l’opportunité et l’y aida. Dégainant sa dague de sa main libre alors que l’autre lâchait la pique fermement enfoncée dans la chair de son camarade, il fit un pas en arrière pour reprendre son équilibre et enfonça d’un coup précis sa lame dans la jointure cervicale du casque du piquier. Une longue gerbe de sang gicla lorsqu’il retira sa dague de la carotide de son adversaire. Comme il s’y attendait, le soldat paniqua et retira son casque en vitesse pour comprimer et soigner sa gorge à l’aide des pouvoirs de la Sève, et avant que son cerveau ne cesse d’être irrigué en sang. Ne lui laissant pas le temps d’agir, Pü attrapa la chevelure brune du Matis et lui asséna plusieurs violents coups de dague dans la gorge. Lorsque la tête du soldat se sépara finalement du reste de son corps, le décapité s’effondra sur la pique qui s’enfonça encore plus profondément dans la plaie sanguinolente de l’homin cloué au sol. Pü jeta un coup d’œil en arrière : le général serait bientôt là. Il rangea la dague maculée de sang, laissa tomber la tête de sa victime, et s’approcha du soldat gravement blessé qui, désormais coincé sous la lourde armure encore palpitante de son camarade, n’était plus capable d’extraire la pique pour soigner magiquement sa jambe. L’homin ôta son casque et se mit à gémir. Il devait avoir l’âge de Niï, soit environ dix ans de plus que Pü.

« Pitié, ne me tuez pas ! »

Pü avait sincèrement pitié. Il détestait tuer. Et particulièrement quand ses adversaires n’y étaient pas préparés. Mais il n’avait plus le choix. Il y était presque, il ne pouvait pas tout abandonner maintenant. Le jeune Zoraï fit à nouveau le vide dans sa tête et ignora la plainte du Matis. Il se rapprocha de lui, posa délicatement son pied gauche sur son cou, et lui broya d’un coup de talon. Ramassant l’épée du malheureux désormais paralysé, il lui planta dans la gorge, empêchant ainsi toute régénération. Un. Il ne lui manquait plus qu’un. Si le mitrailleur évanoui suffisait, l’homin qui lui faisait face dorénavant ne le laisserait sûrement pas approcher le blessé sans combattre. Le général, qui avait en effet enfourché sa monture pour combler la distance qui se séparait du Zoraï, avant de la quitter une seconde fois, se dirigeait désormais vers le guerrier d’un pas décidé. Arrivé à quelques mètres de lui, il ôta son casque. Pour la première fois depuis longtemps, Pü eut un mouvement de recul. Durant un instant, l’enfant crut voir le masque de son père. Le Matis était dans la force de l’âge, comme l’indiquaient les quelques rides qui venaient troubler l’harmonie des traits de son visage et le faible éclat de sa longue chevelure d’ébène. Mais par-dessus tout, c’est l’assurance et l’intensité de son regard qui lui rappelèrent son père. Ces yeux bleus perçants étaient ceux d’un homin déterminé, prêt à tout donner pour accomplir sa volonté. Pü recula d’un pas.

« Il n’est pas nécessaire que nous combattions, dit-il d’une voix troublée. J’ai accompli ma mission. Laissez-moi le mitrailleur et rentrez chez vous. S’il vous plaît, suivez mon conseil, et rejoignez votre famille. »

Le général posa son casque à ses pieds et dégaina une longue et large épée finement décorée. Il lui jeta un regard glacial.

« Je ne vais pas pouvoir accéder à votre requête, mon garçon. Vous venez à vous seul de tuer trois de mes soldats. Le Karan Domini, Roi et Grand Prêtre du Royaume de Matia, doit savoir pourquoi la Théocratie Zoraï forme des enfants-soldats à des missions d’assassinat.

— Je vous le redis : ma tribu et moi ne dépendons pas de la Théocratie Zoraï. Je vous en prie, éloignez-vous ! » répliqua Pü en reculant une seconde fois.

Le Matis s’avança d’un pas déterminé.

« Vous a-t-on forcé à tuer ? S’il est normal qu’un garçon de votre âge apprenne à combattre, il ne devrait pas avoir à faire couler le sang si jeune. Et sûrement pas dans ces conditions. Un garçon de votre âge passe du temps avec ses amis, ses frères, ses sœurs, son père et sa mère. »

À l’écoute des paroles du militaire, et à l’évocation de ses proches, le jeune Zoraï fut pris d’un coup de sang.

« Ne parlez pas de ma famille ! Fuyez, tant qu’il en est encore temps ! »

Un sourire froid s’afficha alors sur le visage du général.

« Il semble que j’aie touché la corde sensible. Seraient-ce vos parents qui vous ont envoyé si loin de la Jungle pour commettre ces meurtres ? Une mère est censée enseigner l’amour à ses enfants, non la mort ! »

Une violente céphalée transperça le crâne de l’enfant.

« Je vous interdis de parler de ma mère ! »

… Je vous interdis de parler…

À son départ, elle avait pleuré. Et si elle l’avait exhorté de ne pas tuer pour assouvir son propre plaisir, elle lui avait malgré tout demandé de le faire pour Ma-Duk. Pü aimait sincèrement Ma-Duk, autant qu’il détestait Jena. Les Kamis protégeaient Atys, quand la Karavan la détruisait en pillant ses ressources. Mais ne pouvait-on prouver son amour à Ma-Duk autrement qu’en répandant le sang ? Par ses propos, et son statut de Grande Prêtresse, sa mère approuvait les coutumes barbares de leurs ancêtres. Pire, elle les transmettait avec ferveur. Mais lui, qui buvait il y a encore quelques mois chacune des paroles de sa mère, les vomissait désormais. Combien de temps encore réussirait-il à feindre son attachement aux valeurs de sa tribu ? Et si, averti de cette dernière pensée, Ma-Duk considérait déjà qu’il ne lui était plus fidèle, pourrait-il jamais devenir l’Ombre du Masque Noir ? Son père l’exécuterait-il lorsque Grand-Mère Bä-Bä lui apprendrait la nouvelle ? Son frère et sa mère le laisseraient-il faire ? Pü atteignait ses limites, son cerveau était en ébullition. Sentant le Zoraï flancher, le Matis le poussa à bout.

« Ainsi l’Herena avait donc raison : vous n’êtes que des animaux ! Les homins de votre peuple engrossent leurs homines et les transforment en mères pondeuses, juste bonnes à produire des enfants-soldats qui seront sacrifiés sur l’autel de vos croyances haineuses ! »

Sur ces mots, Pü dégaina sa dague et son épée courte et s’élança vers le Matis en hurlant. Il lui avait laissé l’opportunité de fuir, et celui-ci ne l’avait pas saisie. S’il désirait mourir, alors Pü l’y aiderait, aussi simplement qu’il l’avait fait pour ses soldats. Cela ne prendrait que quelques secondes. Tout serait terminé, bientôt. Il n’aurait plus à supporter cette douleur. C’est en tout cas ce qu’il imagina sous le coup de la fureur. L’épée du général s’illumina et le jeune guerrier fut saisi aux chevilles avant même de comprendre la manœuvre du militaire. L’expérience du Matis avait parlé, et l’orgueil du Zoraï allait lui coûter cher. Il avait sous-estimé son adversaire et s’était précipité aveuglément, sans anticiper l’utilisation d’un enchantement magique d’entrave. Des racines avaient jailli de l’écorce et l’empêchaient totalement de bouger. Étant donné l’élan de sa course, Pü avait manqué trébucher en avant, et ce n’était que de justesse qu’il avait réussi à se maintenir debout. Pris de panique, il tenta de s’extraire du piège magique en tailladant à l’aide de ses armes les ramifications qui montaient maintenant le long de ses mollets, oubliant par là même le lanceur du sortilège. Soudainement, alors que toute son attention était portée sur ses jambes, le ciel s’assombrit. Son sang se glaça lorsqu’il leva la tête par réflexe. Au-dessus de lui, l’imposante armure du Matis masquait la lumière de l’astre du jour : il avait profité de l’affolement du Zoraï pour arriver au corps-à-corps. Le contre-jour accentuait son regard féroce, qui pétrifia Pü de toute part. Le général leva sa grande épée en position plongeante. Son armure blanche s’illumina lorsque la lumière filtra suite au changement de posture, et Pü dut détourner les yeux pour ne pas être aveuglé.

« Laissez-vous faire ! dit le Matis d’un air grave. Le coup que je vais vous porter va vous infliger une blessure critique. Si vous bougez, il risque de vous être fatal. Je vous maintiendrai en vie jusqu’à ce que les renforts arrivent. Nous vous conduirons ensuite à Matia ! »

Si le général semblait confiant en sa capacité de l’amener vivant auprès du roi des Matis, Pü préférait mourir mille fois plutôt que de devenir captif des suppôts de la Karavan. Il essaya à nouveau de se débattre, mais les racines enserraient maintenant sa taille et commençaient à remonter sur son ventre. Voilà, c’était ainsi que s’achevait sa courte vie. Finalement, Grand-Mère Bä-Bä avait eu tort. Lui qui avait grandi avec l’idée de devenir l’Ombre du Masque Noir et de périr parmi les siens en protégeant son frère, allait mourir seul et loin de chez lui, avec pour dernière vision l’éblouissante empreinte astrale de Jena. Quelle ironie. Alors que le Zoraï avait tourné son masque sur la gauche pour ne pas avoir à supporter plus longtemps le reflet moqueur de la cuirasse, il aperçut une étrange source lumineuse au-delà de la lisière de la route, sous l’ombre des grands arbres sylvestres. En se concentrant, il put discerner nettement deux sphères de taille identique. Elles étaient d’une blancheur éclatante et luisaient d’autant plus vivement qu’elles étaient environnées d’obscurité. Non, ce n’était pas seulement l’obscurité… Pü distingua une petite silhouette noire parmi les ombres. Son sang se glaça de nouveau. Ce n’étaient pas des sphères, c’étaient des yeux. Ceux du Kami Noir qui lui était apparu deux fois jusqu’alors. Il était là. Ma-Duk le regardait.

Non, il ne pouvait abandonner. Il était un Guerrier Noir de Ma-Duk, forgé par les meilleurs combattants de la Jungle et béni des Kamis. Tant qu’il pourrait se battre, il n’abandonnerait pas. Revigoré, son corps réagit d’instinct lorsque le général abattit son arme sur lui pour lui transpercer la clavicule gauche. Il envoya son bras droit au contact de la lame massive pour se protéger, et si son épée courte ne réussit pas à bloquer le coup, elle permit néanmoins de dévier l’attaque, au prix d’une partie de sa main, qui vola en éclats. L’état d’extrême tension dans lequel se trouvait le jeune guerrier eut pour effet positif de lui faire totalement ignorer la douleur. L’épée l’érafla et se planta lourdement dans le sol. Profitant de la seconde de répit qu’il lui était offerte, Pü lâcha la dague qu’il tenait dans sa main gauche et manipula la Sève alentour pour incanter à deux mains un sortilège. Sa paire d’amplificateurs de magie étant accrochée à sa ceinture désormais enchevêtrée avec les racines, il ne put s’en équiper. Mais pour ce qu’il comptait faire, un sortilège brut devrait suffire. Alors il n’hésita pas, et enflamma son corps pour s’évader de sa prison de bois. Il réussit à se dégager des racines partiellement consumées au moment où le général arrachait son épée du sol. Alors qu’il lançait son second assaut, Pü réussit à l’éviter de justesse grâce à une roulade. Le Matis enchaîna avec une série de frappes d’estoc et de taille, que le jeune guerrier esquiva à l’aide de diverses acrobaties. Désarmé, il n’était pas en mesure de parer les attaques. S’il était bien plus habile que le général encombré de sa lourde armure, celui-ci semblait bien plus endurant, et n’avait pas encore subi de blessures. Plus inquiétant encore, ses coups se faisaient de plus en plus précis. Pour la première fois de sa vie, Pü combattait un maître d’armes dans un combat à mort. L’expérience du Matis parlait, et il ne lui fallut que peu de temps pour commencer d’anticiper les mouvements du jeune guerrier.

… il n’hésita pas…

Les secondes défilaient et Pü s’essoufflait à vue d’œil. À plusieurs reprises, le soldat réussit à le frôler, entaillant son corps d’enfant de la pointe de son épée. Pü faisait régulièrement appel aux pouvoirs de la Sève pour panser ses blessures et régénérer partiellement son endurance, mais, à ce rythme, il atteindrait bientôt ses limites. S’il aurait aimé pouvoir passer dans le dos du Matis pour tenter de lui briser la nuque, comme il savait si bien le faire, celui-ci ne lui laissait aucun répit. Sans arme, il n’avait aucun moyen de s’extraire de cette situation perdue d’avance. Alors qu’il cherchait une échappatoire, il aperçut une dague pendant à la taille du soldat, cachée derrière le drap d’apparat ornant sa ceinture. Comment avait-il pu ne pas la voir avant ? Pü se maudit et imagina un plan d’action, entre deux roulades et trois contorsions. Il allait jouer le tout pour le tout. À bout de souffle, le Zoraï attendait le moment idéal pour agir. Soudainement, lui qui ne faisait jusqu’alors que reculer face aux assauts du Matis, profita d’une large frappe de taille pour effectuer une roulade avant et passer sous la lame tranchante. Son mouvement tout juste terminé, il poussa aussi fort qu’il put sur ses jambes, et bondit sur le flanc gauche du soldat. Si le Matis fut décontenancé par la direction de l’esquive, il réagit très vite et rendit un violent coup de pied latéral au jeune guerrier. Le corps de l’enfant craqua sous la lourde botte du soldat et alla s’écraser plus loin sur le sol. Pü se releva péniblement sur un genou et cracha le sang. Son adversaire venait de lui briser plusieurs côtes. Mais derrière son masque, le jeune guerrier souriait : sa main valide était désormais armée. Bien que différente des dagues qu’il avait coutume de manier, celle du Matis ferait parfaitement l’affaire. Le jeune homin inspira un grand coup et leva son masque vers le général. Celui-ci s’était retourné et s’apprêtait à réaliser une percée avec son épée pour retourner au corps-à-corps.

« Abandonnez mon garçon ! » dit-il en chargeant.

À nouveau, Pü n’aurait qu’une seule chance. Et jusqu’alors, la chance lui avait souvent souri. Finalement, peut-être que le Kami Noir veillait réellement sur lui. Alors que le soldat se précipitait dans sa direction, l’épée dirigée vers l’avant, Pü attendit le bon moment et jeta sa dague en l’air, loin au-dessus de lui. Aussitôt fait, il infusa tout ce qu’il put de Sève dans ses jambes et fit gonfler ses cuisses comme jamais. Puisant à la limite de ce qu’il pouvait endurer, il souleva un nuage de sciure et bondit dans les airs d’un saut surhomin.

Totalement surpris par la nature de l’attaque et partiellement aveuglé par le brouillard de débris, le Matis crut à tort que le Zoraï tentait simplement de s’enfuir. Il comprit trop tard la réalité de la situation lorsque qu’il sentit son épée s’alourdir brusquement sur l’avant. Pü venait d’atterrir sur le plat de la lame et s’élançait tel un funambule en direction de son porteur. Déjà fort déséquilibré, le Matis tenta en vain de se redresser au moment où Pü prit à nouveau appui sur l’arme pour voltiger. Le jeune guerrier atterrit cette fois-ci sur ses épaules, et se propulsa une derrière fois en direction du ciel, obligeant par la force de ses jambes le Matis à poser un genou au sol. Pü devait se situer à environ quatre mètres du sol, et survolait le nuage de poussière qui commençait à se dissiper. Il n’eut qu’à tendre son bras valide pour attraper la dague qu’il avait précisément jetée quelques secondes auparavant. Écartant les jambes et regardant vers le sol, alors que la gravité commençait à faire effet, il posa ses yeux sur le visage du général. Celui-ci avait perdu son regard terrifiant et ouvrait grand les paupières. Pü y lut de l’admiration. L’enfant effectua à nouveau un lancer parfait et la dague alla se planter droit dans le crâne du Matis.

Toujours en l’air, le Zoraï se préparait à se réceptionner correctement, mais ses côtes cassées l’en empêchèrent. Il s’effondra lourdement sur le flanc opposé, non loin du corps du général figé sur les genoux dans une étrange position. Sa tête pendait en arrière, dirigée vers l’astre du jour et sa longue chevelure d’ébène se soulevait légèrement au gré du vent. Pü s’allongea sur le dos et écarta les bras. Terminé. Son calvaire était terminé. Il avait gagné.

  Bélénor Nébius, ErzählerCheng Lai'SuKi, Illustratorin

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